vendredi 19 mai 2017

Mon Premier Contact avec un poulpe à anneaux bleus





Ouais, nan, reste un peu, c’est plus intéressant que ça en a l’air ! Déjà parce que oui, c’est un vrai animal qui existe réellement en vrai, c’est pas une blague, et puis parce qu’il est un peu légendaire pour la majorité des plongeurs passionnés, professionnels et acharnés, qui rêvent de l’apercevoir un jour et de pouvoir cocher sa case dans leur liste de choses à observer sous l’eau ! Si tu fais partie de ces rêveurs waterproof je suis désolé mais moi je l’ai fait sans en rêver du tout. D’ailleurs je ne connaissais même pas son existence avant de le rencontrer.


Alors quand je dis « rencontrer », je ne prétends pas qu’on me l’a présenté lors d’une soirée cocktail de fruits de mer, genre « JohnJohn, voici Poulpy. Poulpy, JohnJohn », mais à un moment, on s’est quand même senti assez proches. Un peu trop même, quand on tient compte du fait que le venin de cette petite bête pourrait coucher définitivement n’importe quel type en cinq minutes. Peut-être dix pour Chuck Norris.


Comme c'est un animal dangereux je n'ai pas voulu mettre ma main à côté d'un de ces poulpes pour faire un repère de taille. Alors à la place, en voici une photo à l'échelle. Ha!


J’étais en Australie (et oui, « encore » !) où j’avais entamé avec Céline un road trip qui s’annonçait comme le plus long de ma vie. En distance. Car entre découvertes et rigolades le temps passait, lui, beaucoup trop vite ! Elle et moi avions déjà partagé un bon nombre d’aventures et on se connaissait assez pour suivre ou entrainer l’autre à la moindre idée débile. Comme par exemple de se rejoindre pour faire ce trajet de près de 4000 kilomètres reliant Melbourne (sud-est) à Perth (sud-ouest). Ou lors de ce même trajet d’aller plonger en apnée dans l’eau à -12 000°C (ressenti) de l’étang ultra-profond de Piccaninnie, en Australie Méridionale. Ou un peu plus loin à l’ouest de dépasser les barrières d’un parking pour conduire dans le sable jusqu’à la plage et camper entre des dunes derrière les ruines de la station télégraphique d’Eucla.


C’est dans le même état d’esprit que ce jour-là, alors qu’on s’était juste arrêté à Tumby Bay pour une pause-pipi, on s’est décidé presque naturellement à passer nos combinaisons et à aller ramasser en apnée quelques déchets le long de la jetée. L’Australie, même si elle est une île d’une taille impressionnante (90 000 fois plus grande que l’île de Ré par exemple, ce qui est une info inutile mais véridique), ne foisonne pas de spots idéals pour plonger, mais les jetées sont des valeurs assez sûres pour qui veut voir de la vie sous-marine sans avoir à prendre un bateau. Celle de Tumby Bay, sur la Péninsule d’Eyre, en Australie Méridionale, était censée n’avoir rien de plus spécial que le fait que nous étions devant, mais le Soleil bravouillard et l’envie de traînouiller nous ont facilement convaincus d’aller se baignadouiller se baigner.


Notre première mission, et nous l’avions acceptée, fut d’aller chercher sous deux petits mètres d’eau le moulinet neuf d’un pêcheur maladroit. Grand succès ! Échauffés par la courte nage et la gratitude du type, c’est sous l’escalier d’un côté de la jetée qu’on a commencé notre nettoyage de printemps à proprement parler (oh ! un jeu de mot sauvage apparaît !). C’est un exercice d’apnée motivant : plus tu restes au fond, plus tu remontes de déchets ! Et autant te dire qu’il y avait là de quoi s’exercer quelques heures. Voire quelques années. Le fond était à cet endroit jonché d’objets de papier, de plastique, de métal, de béton, de verre, de cailloux, d’algue, de sable, d’eau salée… même que la plupart n’avaient rien à faire là.


Comme par contre il y avait beaucoup trop à faire pour nous deux, après avoir déposé sur le ponton de quoi remplir un grand sac, on a nagé plus loin pour descendre plus profond au fur et à mesure de notre avancée le long de la jetée. Une première personne nous a hélés en nous criant de ne pas toucher à ce que nous avions ramassé, qu’on risquait d’en mourir. Carrément. Petite pression, là. Mais on s’est juste dit que les mecs devaient sincèrement tenir à leurs déchets pour nous menacer de mort. Le fait que cette idée soit un peu barjo ne nous semblait pas plus discriminatoire que ça dans ce pays où chaque jour, chaque endroit et chaque rencontre amène son lot de nouvelles surprises. Un peu plus loin, un peu plus tard, un deuxième badaud nous apprenait que dans un des tessons de bouteille se lovait un truc « dégueu et dangereux ». On l’avait à peine remercié chaleureusement pour la précision des détails biologiques donnés que quelqu’un d’autre, encore une fois, nous appelait de ses grands bras agités en proférant de funestes incantations mystiques. Là, quand même, c’était soit que le sens de l’humour local était atypique, soit qu’on n’était pas passé loin de la grosse boulette sans même s’en rendre compte.


Et effectivement, une fois revenus sur les planches du ponton, c’est bien cette dernière option qui nous est apparue exacte : un pêcheur et sa fille nous expliquèrent, non sans jeter de petits regards inquiets vers notre tas de détritus, qu’un poulpe à anneaux bleus s’était fait la malle un peu plus tôt en se laissant tomber par-dessus bord sans dire au-revoir et sans non plus qu’on n’ait eu le temps de l’apercevoir. On allait quand même pouvoir en observer, ajoutèrent-ils, puisqu’un autre bullait au fond d’une bouteille, petite masse gluante informe, bougeant comme on pourrait imaginer bouger une boule de morve. C’est peut-être une bête un peu mythique pour certains plongeurs mais c’est pas joli-joli pour autant, vraiment. C’est beaucoup plus petit que ce que la peur des locaux ne nous laissait imaginer, drapé dans une peau élastique laiteuse et blanchâtre sur laquelle apparaissent de petits cercles bleus bien distincts quand se produit une situation perturbante et/ou quand il se met en mode attaque _comme par exemple après un déménagement brutal de sa cabane aquatique par deux gus sans gants.


Avec tout ce qui avait déjà pu nous arriver à Céline et moi par le passé, le fait d’être toujours vivant était en soi de l’ordre du super-pouvoir, mais cette fois le danger était trop grand pour en rigoler. Puisqu’on ne savait faire que ça on en a ri quand même (de loin), on a filmé ce qu’on a pu de ce mucus tuning avant de poliment lui indiquer le chemin de son monde, puis on s’est congratulé mutuellement de pouvoir ajouter à notre aventure cette insolite péripétie. Sans dégât ni blessure, en plus.

En rejoignant la plage par le ponton avec le sac qu’on avait rempli de tout ce qu’on voulait jeter, on a commencé à réaliser le nombre de fois où on aurait pu se faire mordre et risquer l’accident.
-« Cette fois JohnJohn, j’ai l’impression qu’on n’est pas passé loin !
- C’est clair ! T’as vu comme il était bien caché ? On aurait très bien pu en mettre un dans le sac sans s’en rendre compte ! Tiens d’ailleurs, EH MAIS OH ! Y’EN A UN DANS LE SAC QUI ME REMONTE VERS LA MAIN, LÀ! »


Autant dire qu’avant même d’avoir fini ma phrase j’avais lâché ledit sac et couru dix bornes en chialant avant de m’allonger en position fœtale et de réfléchir à la vie. Ç’a été ensuite une mission commando pour inciter la bestiole à se jeter, comme sa cousine avant elle et sans la toucher directement, par-dessus le rebord. Une opération à base de négociations, de subterfuges et de petits coups de bâton au derrière (et va trouver les fesses d’un poulpe, toi !) pour finalement, après toutes ces surprises, pouvoir enfin aller balancer notre baluchon de déchets dans une benne, comme prévu initialement.


Tandis que je conduisais dans l’heure suivante ma brave Sheila, ce 4x4 qui nous emmenait vers de nouvelles aventures, Céline me lisait petit à petit tous les détails qu’elle trouvait sur internet sur ce qu’un poulpe à anneaux bleus peut provoquer par une seule simple petite morsure. Puisqu’on devenait transparent à force de blêmir, la décision s’est imposée à nous de ne pas quitter la ville sans fêter le fait que nous respirions encore. On s’est arrêté ce soir-là au liquor shop le plus proche pour se choper une bouteille de Glenlivet, un fameux scotch qu’on surnomme maintenant affectueusement « le whisky de la vie ».



"Parce qu'on n'est pas vivant tous les jours!"


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